La licence the legend of zelda
La Triforce : parallèle avec la tripartition de l’âme selon Platon
Le héros à la capuche verte, combattant avec son épée de légende pour sauver Zelda et Hyrule : la saga a connu de nombreux épisodes, toujours accueillis avec un succès sans pareil. Nous nous pencherons ici sur la grande ressemblance que cette licence présente avec la philosophie de Platon, et en particulier sur la notion de la tripartition de l’âme. L’harmonie est tripartite : que ce soit dans cet univers vidéoludique ou dans les dialogues du philosophe, le chiffre trois semble fondamental. Trois déesses fondatrices d’Hyrule, trois élus de la Triforce : mais comment y jouer avec des lunettes platoniciennes ?
Illustration par Agathe Jourdan
Le courage ou le souffle
La première division qui nous intéresse est celle qui est associée au héros de la saga : Link. Ce jeune garçon incarne la partie de l’âme que Platon appelle le θυμός (thumos). Dans la République, le philosophe assimile cette partie aux gardiens, à savoir ceux qui doivent défendre la cité paradigmatique que Socrate (son maître à penser) souhaitait mettre en place. Nous retrouvons ici le rôle de notre héros qui, à chaque jeu, a la responsabilité de libérer son monde des maux et des monstres qui l’accablent. Le θυμός est l’intermédiaire entre les deux autres parties de l’âme : il est l’équilibre qui permet à l’âme de fonctionner correctement. C’est d’ailleurs pourquoi nous dirons que l’emplacement physique possible de la bravoure se situe dans le cœur, lieu où est préservé l’équilibre de l’âme. De plus, le θυμός possède une agressivité naturelle, qui pousse à la combativité et au désir de victoire ; ce qui est parfaitement illustré dans le personnage de Link qui, maintes fois réincarné en héros élu de la déesse, se bat pour rétablir l’ordre, même si cela signifie tuer toutes les créatures se mettant sur son chemin. Néanmoins, le θυμός n’est pas que le centre de passions nocives, il est aussi le siège de passions positives comme le respect et le courage qui est considéré comme l’une des vertus les plus importantes chez Platon. Nous pouvons aussi traduire cette partie par souffle, car il fonctionne comme un élan dans l’âme : c’est lui qui pousse à la (bonne) décision. Au-delà du héros, cette part de la Triforce trouve sa source dans l’une des trois déesses de la mythologie cosmogonique d’Hyrule : la déesse Farore, représentée par la végétation luxuriante, autrement dit un équilibre de vie, une réelle harmonie. Link, dans sa tenue verte, est la parfaite illustration du courage, représentant ainsi le cœur d’Hyrule.
La force ou la convoitise
Nous continuons avec l’antagoniste récurrent de la saga : Ganondorf. Ce dernier incarne l’appétit platonicien, à savoir l’ἐπιθυμία (epithumia), qui se concentre principalement sur le désir des richesses et des plaisirs physiques. C’est la quête éternelle de cet anti-héros : il cherche à conquérir Hyrule, et souhaite faire sombrer ce monde dans les ténèbres afin d’y régner jusqu’à la fin des temps. Tout le contraire de la nature luxuriante et harmonieuse que nous voyons dans le héros vêtu de vert : Ganondorf est affublé d’une armure de bronze et de cuivre (métaux que Platon associait également à cette partie de l’âme), et coiffé d’une crinière rousse, nous rappelant alors les flammes de la déesse Din à laquelle est associée la force. L’ἐπιθυμία est assimilée à la chair, et donc aux désirs primitifs de pouvoir et de puissance, c’est pourquoi son siège se situerait au niveau du ventre. Prise seule, la partie désirante de l’âme a des tendances destructrices, c’est pourquoi Ganondorf désire autant posséder l’entièreté de la Triforce : pour la détruire définitivement et engendrer un chaos éternel. Sa puissance n’a pour équivalent que la détermination de Link, mais tout comme le héros, l’antagoniste n’est rien sans les deux autres parties. Ce qui est intéressant, c’est que nous visualisons ici la force comme un mal (puisque l’élu de cette section de la Triforce est le vilain de l’histoire). Néanmoins, chez Platon, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise partie de l’âme : chacune a une fonction permettant à la juste mesure de persister. L’aspiration au néant de Ganondorf n’est en fait qu’un défaut d’équilibre, car il n’est canalisé ni par le souffle ni par la sagesse. Et tout comme les autres parties de l’âme, il n’est pas possible de faire abstraction de l’appétit et des désirs, nous ne pouvons donc pas l’anéantir dans sa totalité. C’est pourquoi il revient dans chaque volet de la série, maintenir une forme d’ordre en amenant sa part de chaos.
La sagesse ou la raison
Nous voilà à la dernière partie de la Triforce et de l’âme, celle qui se reconnaît en l’héroïne de la licence éponyme : Zelda. Cette dernière élue est associée à la sagesse, ce que Platon décrit comme le λογιστικόν (logistikon), à savoir la partie rationnelle de l’âme. La raison correspond au philosophe-roi de la République platonicienne, où le philosophe gouverne la cité. C’est cette partie qui parvient à déterminer l’ordre et la mesure de toute chose, et qui va ainsi nous guider vers ce qui est bon pour nous. Zelda représente la déesse Nayru, qui incarne la douceur, le calme et la sérénité. Nayru est une figure de l’esprit et est aussi la divinité la plus proche de la Déesse originelle, Hylia, qui est la fondation de la cosmogonie d’Hyrule. Zelda, la sagesse, est donc mère de ce monde, elle est l’ordre et l’harmonie même. C’est grâce à elle que les deux autres parties restent droites, sans être ensevelies dans le chaos. Sans elle, nous voyons bien ce que peuvent devenir l’appétit et le courage, en particulier pour le premier : Ganondorf ne répond qu’à sa soif de puissance. La volonté sans raison est inutile, elle échoue à maîtriser ses passions telles que l’ambition où l’obstination de vaincre pour un monde meilleur, déchaînant ainsi toutes les passions néfastes (comme l’orgueil par exemple). La sagesse vient rediriger ces deux parties, leurs motivations et leurs objectifs. C’est pourquoi Platon souhaitait que ce soit la raison qui gouverne la cité : sans elle, l’ordre est mis en péril. Nous voyons bien comment ces trois sections de l’âme sont liées, et comment il est facile de se laisser gouverner par une seule d’entre elles. L’équilibre est difficile, et la mesure mince. C’est pourquoi Zelda seule est faible, Link seul n’a aucune détermination, et Ganondorf seul est dangereux.