SOLASTALGIE SUR PANDORA

… du grand écran à la réalité. 


En plus de quelques techniques de mise en pratique de la théorie du bon débat, j’aimerais proposer au lecteur divers portraits de personnes s’étant montrées particulièrement efficaces. Nous sommes tous concernés par les enjeux dont la société et les individus ont à débattre, et pour y parvenir correctement, nous avons besoin de toutes les ressources disponibles. J’ai en tête plusieurs personnes à vous présenter qui selon moi ont des qualités humaines telles que nous devrions en faire sinon des modèles, au moins une inspiration pour nous améliorer individuellement et collectivement. Aujourd’hui donc, laissez-moi vous présenter Daryl Davis.

Na’vi triste :-( Illustration par Harry Nguyen

L’émotion derrière l’image

Sorti en France en 2009, Avatar nous emmène sur Pandora, une planète extraordinaire située à des années-lumière de notre système solaire ; foyer des Na’vi, espèce de grands humanoïdes bleus vivant en harmonie avec la nature et devant depuis peu cohabiter avec d’authentiques Terriens en quête d’un minerai extrêmement précieux.

Réalisateur du succès mondial Titanic, James Cameron signe ici une œuvre éblouissante tant visuellement que techniquement, bien que l’on puisse reprocher au scénario son classicisme prudent et sa vision très manichéenne des enjeux écologiques : deux camps s’opposent de manière inéluctable et seule l’annihilation de l’un d’eux permettra de résoudre cette crise ; un parti pris qui prive le film d’une vision réaliste et pertinente des conflits d’intérêts d’ordres environnementaux.

Cependant, la simplicité d’un scénario n’altère pas la puissance des images qui l’accompagnent. Traversant l’ensemble du film, une atmosphère de déclin souffle sur le peuple Na’vi ; un déclin qui trouve son paroxysme dans la destruction de l’arbre monde, symbolisant l’effondrement de cette proto-société, incapable de rivaliser avec un envahisseur techniquement invincible.

Tiraillés entre l’immigration forcée vers de lointaines contrées ou l’occupation résignée d’un écosystème en plein agonie, les Na'vi voient dans l’érosion graduelle de leur environnement une part de leur identité mise à bas. Cela ouvre la porte à un profond mal-être lié à une « pathologie du lieu » : expression désignant la souffrance résultant de la corruption du rapport entre un individu et le lieu pour lequel il a de l’affection. 

Une pathologie théorisée en 2003 par Glenn Albrech, philosophe et professeur de développement durable à la Murdoch University en Australie, la solastalgie désigne l’émotion ressentie face à une sensation de mal du pays vécu chez soi.

La genèse d’un concept

Mais pour réellement comprendre ce qu’est la solastalgie, il est primordial de faire le point sur son concept parent : la nostalgie. 

Avant de désigner le regret d’une période passée, souvent fantasmée, la Nostalgie désignait un mal du pays maladif, caractérisé par l’incapacité de retrouver la chaleur réconfortante d’un lieu familier, notamment après une période de fatigue psychologique. Une réelle pathologie donc, conceptualisée par Johannes Hofer en 1688 en tant que « douleur pour la maison ».

Le remède prescrit aux soldats qui en étaient atteint au XVIIIème siècle était la permission. De quelques jours tout au plus, elle permettait aux soldats de rentrer dans leurs foyers pour se ressourcer. Sans cette parenthèse de réconfort le ou la nostalgique pouvait être sujet.te à des épisodes de profonde mélancolie, à la dépression, et dans le pire des cas au suicide. 

Trois siècles plus tard, alors qu’il étudie les impacts des activités humaines sur le territoire australien, Glenn Albrecht, qui remarque quelque chose d'inhabituel, commence à se rapprocher des Wonnarua, descendants des premiers habitants du continent.

Ces autochtones y subissent alors de manière croissante les ravages de l’industrie minière, à tel point que nombre d’entre eux ont été contraints de migrer vers de plus lointaines régions ; laissant en arrière les plus enracinés, qui choisissent de subsister tant bien que mal dans ces paysages défigurés.

Ici, au-delà d’une qualité de vie en berne entre chômages, ravages de la drogue et taux de suicides anormalement élevé, se cache un profond mal-être lié à la dégradation rapide de l’écosystème de la Hunter-Valley.

En effet, cette région qui les a vus naître représente chez les Wonnarua une grande partie de ce qui constitue leur identité culturelle ; les en séparer revient donc à les séparer d’une partie d'eux-mêmes. Et si la nostalgie renvoie à une « pathologie du lieu » lié au manque à l’égard du foyer, pour Glenn, les Wonnarua sont confrontés au même mal alors qu’ils occupent encore la terre de leurs ancêtres. Ce paradoxe le pousse à créer ce néologisme décrivant une souffrance d’un nouveau genre : la solastalgie. 

Du concept à notre réalité

Le prétexte d’une comparaison cinématographique avec Avatar, s’il illustre plutôt bien les conséquences d’une désappropriation territoriale et l’émergence de la solastalgie, trouve néanmoins ici sa limite. La reconquête héroïque de la fin du film ne pouvait être une option pour les Wonnarua de la Hunter-Valley : aucune créature volante ou alliance des forces de la nature n’étant venue à leur rescousse.

Notre réalité nous offre l’histoire alternative des Na’vi, privés de la figure christique du personnage principal et de la revanche d’une nature mystique consciente des torts subis.

Et pour aller plus loin, Glenn Albrecht étend le concept de solastalgie au-delà des frontières de la Hunter-Valley et se tourne vers le reste du monde qui découvre peu à peu qu’une quantité non négligeable de pollutions découlent de la surconsommation sur laquelle repose son fonctionnement. Nous avons beau avoir quitté les paysages immaculés de la nature il y a bien longtemps, leurs préférant le confort de la vie en zone urbaine, il n’en reste pas moins que de plus en plus de personnes autour du monde font entendre leurs inquiétudes au sujet du dérèglement climatique. Cette urgence particulièrement pesante, telle une injonction culpabilisante au changement, se voit malheureusement contrariée par un consensus international désespérément léthargique. Dans ce contexte, chercher à mettre des mots sur les maux peut sembler superflu mais il me semble également que c’est en nommant nos affections que nous pourrons collectivement affronter leurs causes et philosopher à leur sujet.

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