QUE FAIRE EN THÉOLOGIE ?
Recherche d’une lecture écologique de la Bible
En 2022, nous sommes 50 ans après la parution du premier rapport du Club de Rome. Nous sommes 20 ans après la proposition du terme d’« anthropocène » dans la revue Nature par Paul Joszef Crutzen (terme qui sonne le début d’une nouvelle époque géologique où la force humaine surpasse les forces à l’œuvre dans l’holocène). Des années passent, mais « nous » peinons à agir en fonction de la situation écologique. Alors que le diagnostic se précise, l’occasion de changer de perspective s’amenuise. L’humanité est mise en danger de mort dans ce futur si « nous » n’agissons pas en conséquence de notre connaissance. Or nous pouvons dire, selon l’hypothèse reconnue de l’origine humaine du réchauffement climatique, que « nous » avons une responsabilité dans la pollution des ressources naturelles, dans l’accroissement du nombre des catastrophes naturelles, dans le réchauffement climatique et dans les injustices commises envers celles et ceux qui souffrent et périssent parce qu’ils sont en première ligne de ces dégradations.
Photographie argentique par Juliette Kiener
Distinctions préalables
À l’occasion d’un travail de recherche de Master, au sein du séminaire sur la philosophie de la religion, je me pose la question de savoir si la religion chrétienne peut être une ressource utile pour la lutte écologiste. Il y a d’abord une apparente contradiction : la religion chrétienne vise avant tout au salut des âmes. Cela a été compris comme le salut des âmes humaines appartenant à un monde immatériel. Comment la religion chrétienne pourrait être concernée par un problème d’ingérence de nos ressources matérielles, si elle se préoccupe avant tout de nos âmes immatérielles ? De plus, le pouvoir spirituel de l’église chrétienne a été séparé du pouvoir terrestre (à qui revient la gestion des biens communs). Alors à quoi correspond la foi dans un Dieu créateur, dont la création vient à s’épuiser par l’action humaine ?
Il me semble important de souligner que je note « nous » lorsque je parle des pouvoirs terrestres réels qui régissent les actions menées dans ce monde. Or, les pouvoirs terrestres majeurs de notre société suivent les priorités du système capitaliste, sans égard pour les conséquences sur le bien-être et la justice sociale. Cela s’éloigne toujours plus de notre volonté d’un avenir commun, juste, et avant tout vivable.
Critique de la religion
Lorsque j’ai commencé mes recherches, je suis d’abord tombée sur des thèses critiques de la religion. D’une part Feuerbach dans L’essence du christianisme, publié en 1841 : « pour les chrétiens, la nature, le monde n’ont pas de valeur, pas d’intérêt. Le chrétien ne pense qu’à lui, au salut de son âme». L’accusation est claire. D’autre part, l’historien des techniques Lynn White dans son article Les racines historiques de la crise écologique de 1967 dans la revue américaine Science : « non seulement le christianisme établit un dualisme entre l’homme et la nature, mais encore il soutient que c’est Dieu qui veut que l’homme exploite la nature pour ses propres fins ». La théologie occidentale, plus volontariste que la théologie orientale, mettra en avant le progrès technique. White nous invite à reconsidérer cette origine historique afin de comprendre la relation actuelle humain-nature, fondée sur l’instrumentalisation des ressources naturelles pour les fins humaines. Ainsi, la thèse de la supériorité humaine sur le reste de la création serait à l’origine indirecte de la crise écologique (nous pourrons remarquer que depuis la publication de l’article, la crise n’est pas passée, et qu’elle est devenue une époque géologique à part entière). L’argument de White a une conséquence forte à laquelle le Pape François sera sensible dans l’encyclique de 2015 Laudato’Si. Si le problème écologique n’est donc pas seulement matériel, économique, social, etc., il a aussi une dimension spirituelle. Peut-être que nous trouverons intérêt à rouvrir un manuel de spiritualité millénaire : la Bible.
Comment on fait alors ?
Faut-il (et comment) remettre en cause l’héritage de la religion chrétienne ? Pour répondre à cela, plusieurs écoles d’écothéologie existent. J’adopte ici une distinction binaire assez simple. Selon une première voie, nous devrions reconstruire une meilleure interprétation de la Bible et changer de catégories de pensée. Au risque d’être hétérodoxe, White appelle à la reconstruction d’une spiritualité fondée sur les principes d’égalité des créatures, d’adelphité (l’équivalent de la relation de fraternité incluant les autres identités de genre) cosmique et d’humilité – selon la vision de Saint François d’Assise. De son côté, le Pape François préfère une solution plus traditionnelle : valoriser les contributions positives de la tradition chrétienne (le souci de justice sociale parce que les catastrophes touchent plus durement lorsqu’on est vulnérable, le rôle humain d’intendant, de responsable envers les autres créatures…). Il adopte le slogan « tout est lié » qui exprime parfaitement la ligne directrice du courant d’écologie « intégrale ». C’est une façon d’éviter la thèse radicale du biocentrisme, développée dans l’écologie « profonde » d’Arne Næss, qui veut que l’humain n’ait pas plus de valeur morale que tout autre créature.
Mais faut-il vraiment trancher entre les deux écothéologies que j’ai distinguées ? Personnellement, je n’ai pas encore fini de relire les histoires que la Bible nous offre pour nourrir notre combat : la poésie des Psaumes à propos de la beauté de la création, des exemples de fléaux comme l’épisode de l’arche de Noé dans le récit de la Genèse, le sentiment d’humilité face au monde inspiré par la thèse de la création ex nihilo, ou encore l’ambition de sauver une partie de la création et de vivre dans un monde meilleur… Je crois que nous avons besoin de certaines de ces histoires, parce que nous pouvons créer de nouvelles interprétations contemporaines. Je me permets une dernière recommandation d’histoire à écouter et à raconter : la série Snowpiercer qui développe l’histoire de l’arche de Noé, mais sous la forme du train de Wilford – parfait pour les temps froids et pour celles et ceux qui aiment les voyages en train.