La plume

Les résultats du concours littéraire du BDA d’Audencia Nantes


Chaque année, le bureau des arts d’Audencia Nantes organise un concours littéraire, La Plume, qui vise à récompenser les écrivains les plus remarquables de leur école. Cette année, les gagnants sont publiés en avant-première dans le journal La Ration. Ils ont été élus au cours d’une soirée où tous les spectateurs ont pu voter pour leur favoris. C’est avec honneur que nous vous présentons les gagnants de cette édition 2022-2023 : Chloé Kerlau, gagnante de la section « poésie » et Soraya Chakil, gagnante de la section « histoire courte ». Bonne lecture et félicitations à elles !

Premier prix du concours La Plume, section « histoire courte »

Joue

« Oui c’est ça. Continue, imagine.

La lumière crue et le vide qui t’entoure disparaissent. Ferme les yeux. Oublie les jours, les semaines, les mois passés, et ce corps qui a froid. Oublie l’odeur de renfermé, la peur qui t’agite. Tu n’entends plus que ma voix, écho de tes pensées. Maintenant regarde. Tu vois.

Lui, là devant tes yeux. Lui et toi pour toujours, lui qui te prend la main et te fait tourner, tourner, tourner jusqu’à ce que ta vue se brouille, que tu oublies ta propre existence, que tes pieds s’emmêlent et se perdent, ton corps tout entier ondule au rythme d’une musique que vous seuls entendez et se réchauffe. Oui, plus vite, tourne, un deux trois, un deux trois, compte, des étoiles dansent devant tes yeux, tu oublies qui tu étais avant de le revoir, tu existes car il est là c’est tout et tu plonges dans son regard. Essaie, tourne encore, c’est difficile car tu le distingues à peine, un reflet brisé dans un miroir flou, pourtant tu sais qu’il te tient par les hanches, qu’il te fait valser si fort et si doucement que jamais tu ne douterais de sa présence, alors tu essaies, un deux trois, encore, concentre-toi sur les paumes larges et fermes qui t’ancrent dans cet instant, oui regarde-le ! regarde-le plus fort, tourne plus vite ! Une mèche de cheveux rebelle t’effleure la joue, un iris aussi bleu que le ciel te fixe avec intensité, un sourire éclatant, oui c’est bien lui, tu ne rêves pas, tu en es certaine, c’est lui ! il est le seul à pouvoir t’offrir le bonheur avec tant de force. Tu ne peux pas t’empêcher de lui sourire en retour et en retour tu vois que ses yeux scintillent de bienveillance. Emplie d’une joie pure, d’exaltation plutôt tu es car oui ! il te regarde, t’observe, embrasse du regard chaque partie de toi, et toi, oui ta tête se fait lourde et tes yeux dansent d’avoir trop tourné, un deux, tu veux ralentir, trois, te reposer dans ses bras, la tête au creux de son cou, où tu le sentiras t’entourer de tout son être, sa chaleur te rassurer, sa présence t’apaiser, à l’infini tu voudrais contempler son visage aux traits si fins, caresser sa peau lisse comme les plumes d’un cygne, tu oublieras la moiteur de l’air froid, la sueur qui point sur vos front, vous valsez depuis longtemps, depuis des heures ou peut-être des journées entières, le temps n’a plus sa place entre vos corps éthérés, tu voles avec lui, ta tête te tourne de plus en plus fort, mais tu n’as pas peur tu sais que tu l’aimes et avec tendresse tu poseras tes lèvres humides sur les siennes tandis que ses mains t’envelopperont tu sentiras ton cœur flamboyer ! Tu clignes des yeux, un fragment de sourire qui s’éloigne, un regard qui se noircit, ton souffle s’accélère, tu ne comprends pas, te raccroches à son bras, à sa peau devenue fraîche, à sa nuque qui se noie dans la brume, à ses cheveux qui s’effritent, sa joue si douce, son corps chaud, son sourire lui, tout, tout se dissout tout s’affadit, s’émiette, tout se perd entre tes yeux, qui est-il ? ne fuis pas, regarde-le, regarde-le ! Une vision terrible qui te broie le cœur ! Tu frémis et frissonne avant de te briser, les cieux vacillent tandis que tu chancèles, tombes, dissolvant dans ta chute le nuage rosé dans lequel tu valsais, où est-il ? tu percutes la terre et éclates en mille morceaux. La musique s’est éteinte et la lumière ne résonne plus, l’air pèse sur tes épaules avec tant de lourdeur, tant de dureté, tu as mal au dos, aux jambes, aux pieds, tu t’es abîmée, emmêlée et perdue et tu pleures car tu avais oublié qu’il n’existait plus. A genoux tu t’écroules, le poids de la réalité sur tes épaules voûtées et des larmes roulent sur tes joues blafardes. C’est bien, c’est ça, pleure, pleure encore, de vraies larmes, des larmes de soie, relève la tête, montre-leur ton teint blême, montre-leur ce désespoir t’inspirant une chanson mélancolique aux accents de malheur. Montre-leur ! Oui, c’est bien, chante, plus doucement, non un peu plus fort, murmure la mélopée. Cet être misérable agité de soubresauts, tu ne te reconnais plus, qui es-tu ? Ton cœur saigne d’être fou, il faut que tu le sentes. Il faut qu’ils le sentent. Il faut que tu te transforme, que tes traits se crispent, que tes mains tremblent d’être vides, que le froid te saisisse comme l’étreinte de la mort, sens-toi perdre pied, Crie ! Crie son départ, la solitude, crie, HURLE-LEUR ! ta haine envers ce monde, monde brisé froid où pleut averse le deuil. Non, ça ne va pas, Crie plus fort, plonge dans la souffrance, englue-toi dans les affres, nourris-toi de la douleur pour faire exploser sur scène une colère à l’état brut, fais naître en toi l’horreur d’une existence sans justice. Tu hais cette vie qui n’a pas su le retenir, tu hais ce vide corrosif, tu cries pour les lambeaux de souvenirs qui disparaissent avec le temps. Crie ! Puis soudain recule, effrayée de sentir sur ta peau les regards figés des autres, d’être dévorée par le jugement implacable de tes proches. Aie honte d’être disloquée. Recule jusqu’à l’ombre des projecteurs, estompe-toi dans la noirceur de ta vie en ruine, disparais, silhouette grave sur fond d’encre, attends que la lumière décline. Allonge-toi sur les planches. Les ténèbres t’engloutissent, emportent ton âme. Expire, un ultime soupir, plus fort, ils doivent l’entendre, il faut qu’ils comprennent que tu l’as rejoint, que tout est fini. Qu’ils applaudissent ton corps éreinté. C’est bien. Je sais que tu as mal. Mais ce n’est pas encore ça. On reprend. Il faut que tout soit parfait pour la première. Plus fort cette fois. Plus fort ! Sèche tes larmes. Il ne faut pas pleurer au début, ce n’est pas écrit. »

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