Pasteur: héros ou escroc ?
Retour sur ses découvertes, ses erreurs et ses contemporains
Alors que la campagne de vaccination bat son plein pour endiguer l'épidémie de coronavirus en France, alimentant aussi bien les pharmacies que les débats, je vous propose de faire un retour sur une figure majeure de l'histoire du vaccin : Louis Pasteur. Connu, certes, mais peut-être mal. Quel fut son rôle ? Qu'a-t-il réellement apporté ? Et qui sont les autres acteurs dont il a éclipsé la postérité ?
Peinture de Albert Edelfelt.
Pasteur et la base du vaccin contre la rage, une moelle de lapin enragé.
Un vaccin pour le charbon
Pour commencer, il convient de rappeler brièvement l'histoire du vaccin avant les travaux de Pasteur, afin de rendre hommage au créateur de l'immunologie, cette science qui étudie le système immunitaire, à laquelle le scientifique français participera par ses expériences. Et ce créateur n'est autre que Edward Jenner, médecin anglais qui, le 14 mai 1796, immunisera avec succès un garçon de huit ans contre la variole, maladie très virulente et contagieuse de l'époque, en lui inoculant la vaccine, maladie semblable mais beaucoup moins dangereuse, et qui laissera son nom au procédé dont Jenner est devenu le père, le vaccin. L'histoire continue, et un vétérinaire du nom de Henry Toussaint ainsi que Pasteur cherchent un vaccin contre la maladie du charbon, appelée ainsi en raison de la teinte noire que prend le sang du bétail qu'elle infecte. Toussaint propose de chauffer du sang contaminé et d'en atténuer la virulence par un antiseptique, alors que Pasteur cherche à le faire uniquement par l'oxygène de l'air. Pour prouver l'efficacité de sa méthode, le second organise une expérience à Pouilly-le-Fort en 1881, qui consistait à vacciner la moitié d'un troupeau de moutons avant d'inoculer la maladie au troupeau entier. Le succès est complet, et Pasteur publie que son vaccin en est la cause. Néanmoins son neveu et assistant Adrien Loir écrit dans ses souvenirs publiés en 1938 que ses collaborateurs et lui avaient utilisé un antiseptique à la manière de Toussaint, conscients qu’ils étaient de la supériorité de cette technique. Ce que confirmeront les notes de laboratoire de Pasteur, longtemps restées confidentielles. Pasteur écrira même dans une lettre : “Je suis dans l’étonnement et l’admiration de la découverte de M. Toussaint, dans l’admiration qu’elle soit, dans l’étonnement qu’elle puisse être. Cela renverse toutes les idées que je me faisais sur les virus, les vaccins. Je n’y comprends plus rien”.
Et un vaccin pour la rage
Maintenant, il faut nous attaquer à la gloire de Pasteur, à ce qui fit sa renommée : son vaccin contre la rage. Là encore notre scientifique, tout en ayant créé des avancées considérables par son propre travail, semble avoir occulté une grande partie de la dette qu'il devait dans ce domaine à son précurseur : Pierre Victor Galtier, lui aussi vétérinaire de formation. Ce qu'a accompli Galtier est énorme, et pour cause, il fut le premier, en 1881, à obtenir un résultat d'immunité contre la rage, en injectant la salive d'un chien enragé dans le sang d'un mouton qui y survécut. Pasteur pensera invalider cette expérience par les siennes, alors que deux de ses collaborateurs confirmeront le succès du protocole de Galtier en 1888. Cependant, Pasteur va établir scientifiquement l'hypothèse de Pierre-Henri Duboué, qui croyait que la rage atteignait le cerveau par les nerfs. Galtier, lui, n'en était pas convaincu. Et puis, il revient toujours à Pasteur le mérite d'avoir vacciné le petit Joseph Meister, qui devint la première personne immunisée contre la rage. Bien qu'il n'existe aucune preuve formelle que le chien qui le mordit avait la rage, Pasteur décide de lui inoculer des moelles de lapins enragés de plus en plus virulentes, ce qui est extrêmement dangereux, surtout lors de la dernière inoculation, qui peut tout simplement donner la mort à un sujet mal vacciné. Il payera chèrement cette grande prise de risque, lorsqu'en 1886, un enfant nommé Jules Rouyer périra peu après sa vaccination. Le médecin légiste et le collègue de Pasteur, Emile Roux, constateront que ce n'était pas la rage du chien mais celle du lapin contenue dans le vaccin qui avait contaminé la victime. Ils mentiront sur l'expertise de l'autopsie, afin de ne surtout pas reculer dans l'évolution du vaccin à cause de la méfiance du public et du monde médical.
Le vrai rôle de Pasteur
En constatant une partie de ses travaux et ce qu'il doit à ses prédécesseurs, nous avons bien l'impression que Pasteur n'a pas découvert grand-chose. Cependant il a touché beaucoup à beaucoup de ces choses, et à une époque où malgré les avancées scientifiques, la communication restait limitée, il était au courant de tout, se consacrant à un travail qui ne l'aurait laissé dormir que moins de quatre heures par nuit. Une citation de Patrice Debré, son biographe, révèle assez bien cet aspect de sa carrière : « Pasteur donne parfois même l'impression de se contenter de vérifier des résultats décrits par d'autres, puis de se les approprier. Cependant, c'est précisément quand il reprend des démonstrations laissées, pour ainsi dire, en jachère, qu'il se montre le plus novateur : le propre de son génie, c'est son esprit de synthèse ». Et puis, Pasteur avait aussi le génie des relations publiques, et il a su se placer parmi les icônes dont la Troisième République avait besoin pour faire rayonner la France dans un siècle où les nations rivalisaient de révolutions industrielles et scientifiques. Cependant, il doit apparaître aux yeux de tous que Pasteur n'a pas hésité à minimiser l'influence des savants qui l'ont précédé dans ses recherches, quand bien même il portait de l'estime à certains. Au fond, le vrai problème du mythe de Pasteur est que sa patrie a voulu le sacrer premier inventeur dans un domaine où il n'y en a pas vraiment : la science. Souvenez-vous de Jenner, dont j'ai parlé en début d'article. Et bien figurez-vous qu'un agriculteur du nom de Benjamin Jesty avait déjà réussi à immuniser sa famille de la variole par la vaccine, vingt-deux ans auparavant. Mais il revient à Pasteur de légitimer Jenner de la paternité du vaccin : « les conceptions les plus hardies, les spéculations les plus légitimes, ne prennent un corps et une âme que le jour où elles sont consacrées par l'observation et l'expérience ».