Le sens de la vie II
Le problème de l’entropie
Lors de la première parution de La Ration, j’ai adopté un point de vue scientifique pour aborder la question du sens de la vie, dans un article où j’ai établi que toute chose dans le monde aspirait à la stabilité, et que la vie n’était qu’un phénomène de plus visant la stabilité. Cependant, il s’agit là d’une approche extrêmement généraliste. On pourrait dire : « c’est bien beau tout cela, mais la stabilité concerne autant les froids astéroïdes que les humains, et ne m’assure en rien bonheur ni rectitude morale ». Si je ne pense pas que la stabilité physique et mentale soit totalement étrangère au bonheur et à l’éthique, je ne nie pas en revanche que tout cela est encore bien éloigné de nos préoccupations les plus immédiates. Le principe de stabilité est absolument fondamental, mais n’explique même pas la variété des moyens mis en œuvre par les choses du monde pour demeurer ou entrer dans un état stable. C’est pourquoi nos recherches doivent se faire plus pointues. Fort heureusement, les sciences de la nature ne m’ont pas attendu et foisonnent déjà de théories sur les comments des pourquois. Aujourd’hui, c’est à la thermodynamique que nous allons nous intéresser, toujours dans le but d’en tirer des conséquences sur le sens de la vie en général, et de la vie humaine en particulier.
VLANX
Miniature de la vidéo LE SENS DE LA VIE de Vlanx.
La thermoquoi ?
La thermodynamique est la branche de la physique qui s’intéresse aux échanges thermiques à l’œuvre dans le monde. Pourquoi cette discipline en particulier attire-t-elle notre attention ? Parce que la vie telle que nous la connaissons sur Terre semble s’opposer à son deuxième principe fondamental : « dans un système isolé, l’entropie ne peut qu’augmenter » (principe de Carnot). Pour illustrer cette idée complexe, nous pouvons nous appuyer sur l’excellent album The 2nd Law de Muse (2012), qui fait explicitement référence à la deuxième loi de la thermodynamique. Dans la chanson The 2nd Law : Unsustainable, une voix synthétique énonce les principes de la thermodynamique en ces termes : « Tous les processus naturels et technologiques se déroulent de telle manière que la disponibilité de l’énergie restante diminue. Dans tout échange d’énergie, si aucune énergie ne quitte ou ne pénètre un système isolé, l’entropie de ce système augmente. L’énergie passe continuellement d’un état concentré à diffus, dans lequel elle est perdue, inutilisable. […] Les lois fondamentales de la thermodynamique vont placer des limites fixes à l’innovation technologique et à l’avancée de l’humanité. ». Ce titre de Muse se présente comme un argument scientifique contre l’économie de croissance infinie, qui semble partir du principe que les ressources du système terrestre sont illimitées. Au-delà de la pertinence discutable de cet argument, on peut aussi douter de sa validité. En effet, si la voix synthétique ne se trompe pas sur les principes de la thermodynamique, elle va un peu vite en besogne lorsqu’il s’agit d’identifier les systèmes isolés. Par définition, un système isolé est un ensemble d’éléments chimiques où la quantité d’énergie est finie et constante (c’est-à-dire qu’aucune énergie extérieure n’y entre ni n’en sort). Peut-on alors considérer la Terre comme un système isolé ? Que nenni ! Elle est nourrie de rayons solaires, mue par des forces gravitationnelles, elle entretient un commerce d’énergie thermique constant avec l’espace qu’elle côtoie, etc. L’analogie avec les êtres vivants est aisée : une cellule vivante n’est absolument pas indépendante de son environnement. Vouloir faire d’une cellule vivante un système isolé du point de vue de la thermodynamique, c’est vouloir faire d’elle autre chose qu’une cellule vivante.
L’entroquoi ?
Le monde entier en revanche, voilà bien un système isolé. La quantité d’énergie y est finie et constante, et rien n’interagit avec lui de l’extérieur (du point de vue de la science au moins). Donc l’entropie y augmente constamment. Mais qu’est-ce que cela implique ? Qu’est-ce en fait qu’une hausse d’entropie ? L’entropie est le phénomène par lequel les différences de température à l’intérieur du système cherchent à s’équilibrer en se mélangeant. C’est pourquoi on assimile souvent l’entropie au désordre. En gros, l’entropie fait que l’univers tout entier se mélange en lui-même. Si une forme de vie devait subir ce phénomène, les éléments chimiques qui la composent devraient en permanence aspirer à l’état de soupe homogène. Bien entendu, ce n’est pas ce qu’on observe. Au contraire, les êtres vivants semblent organisés d’une manière très précise et durable, permettant aux nouveau-nés de se développer et de gagner en complexité. Née d’éléments désordonnés, la vie est en elle-même un phénomène d’organisation, de diminution de l’entropie. Un être vivant se sert de son environnement pour diminuer sa propre entropie, tandis que par son action, l’entropie du monde extérieur augmente.
SO WHAT ?
Que peut-on en conclure sur la vie ? Au moins deux choses. Premièrement, la vie existe aux dépens de l’univers tout entier. Bien entendu, à l’échelle de l’univers, l’impact de la vie sur Terre est pratiquement imperceptible. Mais c’est bien par l’appropriation de l’énergie libre dans son environnement que la vie prospère. Y a-t-il par là un tort causé au monde ? Je ne saurais le dire. Il est certain en revanche que la quantité d’énergie disponible à proximité de la vie constitue un sursis. L’argument de Muse ne vaut pas pour la Terre, mais pour l’univers entier : « un système basé sur la croissance infinie est insoutenable ». A cause de l’irréversible augmentation de l’entropie, la vie est condamnée à disparaitre. Et le monde aussi est condamné à atteindre un état d’entropie totale, où on pourra le considérer comme « mort ». Si ce sujet vous intéresse, la vidéo La dernière heure avant les ténèbres éternelles de l’excellente chaine YouTube Kurzgesagt saura vous satisfaire, mais prenez garde au vertige métaphysique ! Deuxièmement, les êtres vivants sont des fonctions auto-organisatrices. L’organisation est constitutive de la vie. De cela nous pouvons tirer une fierté renouvelée de notre disposition physique et mentale en tant qu’humains. Notre corps et notre esprit sont ainsi constitués car nous sommes des être organisés. Nous pouvons même suggérer, avec prudence cependant, que nous sommes parmi les vivants sur Terre, et peut-être même parmi les choses dans l’univers, en termes de commerce énergétique, les plus ordonnés. Cette pensée me procure joie et responsabilité.