LA TRILOGIE DES COSMOLOGIES

Quelques appréhensions du monde selon les Grecs


Aujourd’hui ; nous allons découvrir trois grandes cosmologies de philosophes présocratiques. Les amis de la sagesse qui avaient réfléchi avant la naissance du grand Socrate sont classés par convention en tant que « présocratiques ». On s’apercevra que leurs visions du cosmos (structure du monde) sont éloignées des nôtres. En effet leurs cosmologies sont une première ébauche d’une intuition purement humaine : comment voir le monde quand on n’a que très peu d’évolutions techniques ? Et nous allons voir que nos présocratiques ne manquaient pas d’ingéniosité !

Illustration de Thalès
Illustration de Thalès

Le début d’une épopée Le début d’une épopée

Nos trois élus sont Thalès (-640 -545), Anaximandre (-620 -547) et Anaximène (-550 - 480), plus communément appelés les Milésiens, compte tenu de leur ville natale : Milet (ancienne cité grecque). Ces trois philosophes répondent à trois grands problèmes (on aime les trois ici) : la matière du monde ; la nature des astres ; l’immobilité de la Terre. Ce sont ces questions qui fondent leur cosmologie. Finalement, comment déterminer un principe correspondant à toute chose ? Comment expliquer les phénomènes naturels de manière générale ? Pour commencer, la matière joue un rôle important dans le monde, elle constitue la réalité physique que nous connaissons. Et idéalement, il en existe une qui serait ultime, liée à toutes les autres : un élément jouant le rôle de constituant universel, qui rendrait compte de tout changement d’état. Cette thèse milésienne correspond bien à son temps, et à l’idée partagée d’un cosmos ordré et parfaitement structuré. Thalès reconnaît l’eau comme élément constitutif du Tout. Son intuition est justifiée par le cycle de l’eau, qui englobe maints phénomènes physiques, une sorte de vision de la « nature en petit ». Anaximandre souligne une hétérogénéité fondamentale des quatre éléments. Rien ne privilégie un cycle de phénomène par rapport à un autre. Somme toute, c’est le début de la démarche scientifique. Popper (épistémologue renommé), nous explique que c’est par conjectures et réfutations que la science évolue. Les hypothèses nouvellement formulées se basent sur les faiblesses théoriques des anciennes, un très bon moyen pour faire fructifier la recherche. Par la suite, Anaximandre propose l’illimité, qui serait le support de toutes déterminations matérielles et réelles, esquivant ainsi une dissymétrie d’éléments. Dans l’idée, un monde abstrait dirigerait le réel, le déterminerait, comme un miroir. Mais c’est justement de cette abstraction que souffre la théorie d’Anaximandre, et devinez quoi : Anaximène va y répondre. Il pense comme son prédécesseur qu’il faut un élément qui soutienne toute autre chose physique, mais que celui-là doit-être tangible et réel : l’air. Cette nouvelle réponse au problème semble en effet la plus aboutie, compte tenu de sa cohérence concrète.

Dresseur de Pokémon avant l’heure ?

Non, je vous le jure, vous n’êtes pas en train de lire un résumé d’Avatar maitre des éléments, bien qu’on pourrait s’y perdre. Mais surtout, pourquoi je parle de Pokémon ? Parce que la vision cosmologique d’Anaximandre ressemble à l’attaque Roue de Feu dans Pokémon ; il compte les astres comme des anneaux de feu, entourant la terre d’une voute céleste. Cette image vient de l’observation de la régularité du placement des astres (étoiles et planètes). Geoffrey Lloyd (contemporain) parle de la théorie d’Anaximandre en ces termes : « Ce que nous voyons sous la forme d’une étoile est une sorte de point de crevaison dans une roue de bicyclette solaire ». Le fait que ce soit un point de crevaison correspond à la forme des étoiles vues depuis la Terre : ronde. Anaximandre révèle une constante qu’on semble avoir incorporée dans nos esprits contemporains. Il est ardu d’imaginer un ciel nocturne changeant, un sorte de loto du ciel. De même pour la vie diurne, le Soleil étant une étoile, on ne peut objecter au sceptique radical qu’il se lèvera nécessairement demain. En somme, ces théories peuvent sembler fantaisistes, mais leur intérêt philosophique réside dans la recherche d’une objectivation de la connaissance. Pour reformuler, c’est à partir d’observations et d’inductions qu’ils ont cherché les principes du monde, de sa constante ; ce qui ressemble a un début de recherche scientifique. Ainsi, Anaximandre nous ajoute une explication en plus pour une irrégularité irritante : la quadrature de la Lune. Comment expliquer le changement que l’on perçoit de la forme de la Lune ? Tout simplement parce que quelque chose obstrue le trou de la Lune ! Mais après qu’est- ce que cette chose, c’est une autre question, peut-être une limite théorique.

Le monde comme boule à neige ?

Il nous reste maintenant le dernier problème à étayer : celui de l’immobilité de la Terre. Le problème s’expose simplement : ma tour de Kapla reste debout tant qu’un ostrogoth ne fonce pas dessus. L’immobilité des objets explique l’immobilité de la terre, mais alors, qu’est ce qui soutient ce qui soutient ? Comment résoudre la question de la régression à l’infini ? Thalès observe qu’on ne sent pas bouger la Terre, sauf quand elle tremble ! Donc il faut expliciter ce comportement : l’univers serait une masse aqueuse renfermant une bulle d’air contenant la Terre (plate), elle-même flottant sur de l’eau comme un bouchon de liège. L’origine des tremblements de terre se situe dans le lien entre la bulle et la Terre. Cette théorie apporte son lot de problèmes : comment expliquer le mouvement des astres ? Comment la bulle est-elle apparue ? Et finalement elle ne pallie pas le problème de la régression à l’infini. Pour Anaximandre, la Terre est immobile parce qu’elle est à égale distance de tous les autres corps célestes. Rien ne justifie que la Terre aille dans une direction plutôt qu’une autre. Cette hypothèse de l’indifférence rajoute une idée abstraite qui répond aux suppositions fragiles de Thalès. Sa structure argumentative est à la fois plus profonde et plus englobante. Popper explique qu’Anaximandre effectue une conjecture sur l’hypothèse de Thalès, qui pallie ses défauts, mais en créé d’autres et un passage à un niveau de causalité plus profond…

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