La mentalité de l’éclaireur

Pour y voir plus clair dans un monde complexe


Le 13 avril 2021, au terme d’une rédaction de cinq ans (l’attente m’a paru interminable), est sorti aux Etats-Unis le livre de Julia Galef, The Scout Mindset. Cet ouvrage couronne la carrière d’une reine de la rationalité en nous présentant la grande métaphore de l’éclaireur (scout, en anglais) épistémique. En temps de conflit, une armée se compose de soldats et d’éclaireurs. Les soldats ont pour but d’écraser aveuglément tout ce qui se trouve entre eux et leur objectif. Les éclaireurs quant à eux cherchent à connaitre leur environnement avec exactitude afin de définir les objectifs et itinéraires des soldats. Les fonctions de soldat et d’éclaireur peuvent être considérés comme des instances de notre esprit lorsqu’il observe le monde autour de lui. Dans son merveilleux livre, Julia Galef nous encourage à développer notre côté éclaireur, que la majorité d’entre nous avons tendance à sous-utiliser au profit d’une mentalité de soldat souvent inadaptée.

VLANXMiniature de la vidéo Revue de livre : "THE SCOUT MINDSET", par Julia Galef de Vlanx

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Miniature de la vidéo Revue de livre : "THE SCOUT MINDSET", par Julia Galef de Vlanx

Pourquoi favoriser la mentalité d’éclaireur ?

Le livre démarre par une défense du scout mindset au détriment du soldier mindset, au nom du respect de la règle dite de Chesterton’s fence. Imaginez-vous en campagne, tomber sur une clôture en bois au milieu de nulle part. Elle vous force à faire un détour, et vous envisagez de la renverser d’un bon coup de pied pour continuer tout droit. La règle de Chesterton’s fence exige que vous fassiez l’effort de comprendre pourquoi cette clôture s’est retrouvée là, avant de la renverser. Il pourrait y avoir à sa présence une excellente raison, que vous ne percevez pas immédiatement. C’est ainsi que notre autrice considère la mentalité de soldat, et elle se trouve effectivement là pour des raisons ; certaines d’entre elles excellentes. La mentalité de soldat est véritablement une instance de notre esprit, héritée biologiquement. Nos ancêtres biologiques humains ont grandement bénéficié de la mentalité de soldat dans le monde hostile où ils se trouvaient. Elle est une stratégie qu’a développé pour nous l’évolution en vue de notre survie. Cette instance de l’esprit nous protège des doutes contre nous-mêmes, qui pourraient mettre en péril les éléments de notre bien-être émotionnel comme notre sérénité, notre volonté, notre amour-propre ; mais aussi nos capacités sociales comme notre aptitude à convaincre les autres, à nous présenter sous notre meilleur jour et à nous intégrer aux groupes sociaux où nous sommes jetés à la naissance. Tout cela, Julia Galef l’établit brillamment, mais elle insiste sur le fait que cette mentalité ne remplit pas aussi bien ces fonctions qu’un scout mindset bien compris. En effet, les sciences naturelles et cognitives nous montrent, de même qu’une infinité d’exemples (dont Julia nous a concocté un best-of), que la réflexion méthodique conduit bien plus efficacement à des jugements et des décisions appropriés. En outre, nous avons une tendance naturelle à ignorer les compromis que nous effectuons en permanence pour prendre toutes nos décisions, ce qui réduit notre vision des possibles préférables. Le seul moyen d’accéder à ces options préférables est d’adopter l’attitude de l’éclaireur. La grande rationaliste rajoute que le dans le monde moderne, le nombre d’options à notre portée augmente à grande vitesse : « More and more, it’s a scout’s world now. (De plus en plus, le monde est fait pour les éclaireurs.) ». Voilà comment on en vient à dire que le soldier mindset a de très bonnes raisons d’exister, mais aussi que le sout mindset est une encore meilleure raison de le renverser à coups de pied !

Et comment fait-on donc, docteur ?

Julia Galef ne se contente évidemment pas de dire « Oh là là, c’est vraiment bien la mentalité d’éclaireur, soyons tous des éclaireurs ! Fin. » Les quatre parties suivantes du livre (sur cinq parties au total) sont consacrés à cette question du « comment ». Leur contenu est si riche et chouette que ce serait du gâchis selon moi de tenter de tout résumer dans ce petit article. Je pense plutôt vous recommander chaudement de vous procurer le livre de Julia Galef en format physique, liseuse ou même audio (c’est elle-même qui lit !), car je suis prêt à vous rembourser moi-même si vous n’êtes pas satisfait. Et si d’autres éloges peuvent vous convaincre d’en entreprendre la lecture, d’innombrables vidéos sur le YouTube américain encensent le livre (Julia Galef en fait elle-même la présentation sur sa merveilleuse chaine Julia Galef). En français, Lê Nguyên Hoang (chaine Science4All) et David Louapre (chaine Science Etonnante) se sont eux aussi prêtés à l’exercice de la critique. Je vais m’y prêter aussi de manière très personnelle dans cet article, et je développerai plus en détail la méthode Galef dans mes prochains articles. Ce que ce livre me semble avoir de formidable, c’est que contrairement aux enseignements traditionnels en esprit critique à base de biais cognitifs et de logique froide, il présente ses enjeux de façon chaleureuse. L’autrice qui a elle-même longtemps enseigné à cette école confesse qu’aucune de ces approches n’a jamais réellement modifié la manière de penser des gens. La mentalité de soldat « protège des choses qui sont pour nous d’une importance vitale », et abandonner cette protection pour une logique froide est tout bonnement inenvisageable. Il faut donc proposer une approche qui protège ces choses au moins aussi efficacement que le soldier mindset. Parce qu’elle ne perd jamais de vue ces enjeux, Julia Galef y parvient mieux que personne avant elle. Je me déclare heureux d’avoir été convaincu par les idées de Julia Galef, heureux de jeter allègrement à la poubelle mes idées vermoulues sur la logique comme panacée, heureux de m’engager sur un chemin nouveau, bien défini, et compatible avec mes aspirations profondes et ma sociabilité. Un dernier atout de The Scout Mindset, et non le moindre, est son énorme potentiel dans la théorie du #DébattonsMieux. Ce bel ouvrage nous permet de mieux penser individuellement, mais aussi les uns avec les autres. Nous en reparlerons donc.

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