Pourquoi la zététique ?

Le doute, la condition de l’émergence de la connaissance


Dans la mélasse d’Internet et de la désinformation, un brin de lumière qu’il faut saisir comme de la corde survit : la zététique ! Cette rubrique traquera, par la démonstration et l’énumération de faits, l’incohérence voire même le paradoxe de certaines croyances répandues et très médiatisés. On peut se la représenter comme une sorte d’avant-garde de l’esprit critique. Mais attention, il ne faut pas s’y méprendre : l’essence même de cette rubrique n’est pas de rendre ses lecteurs hostiles à la croyance, mais indépendants face à cette dernière. Je crois qu’il est plus important de savoir pourquoi l’on croit que de s’aliéner à croire simplement. La liberté, telle est la cible.

"Croire ou ne pas croire ?" par Hygiène Mentale
"Croire ou ne pas croire ?" par Hygiène Mentale

La zététique, c’est quoi ?

La zététique est une discipline formalisée par Henri Broch en 1993 qu’il enseignera à l’université de Nice. Il la définit comme « l’art du doute » ou plus crûment, la technique par laquelle nous cherchons à douter. On l’a décrit aussi dans un sens plus contemporain comme « l'étude rationnelle des phénomènes présentés comme paranormaux, des pseudosciences et des thérapies étranges ». Cette discipline propose d’aborder à la loupe du scepticisme et d’une méthodologie rationnelle les phénomènes extraordinaires. On compte parmi eux : le paranormal au sens large, les lieux ou les créatures dont il est encore impossible de prétexter l’existence, l’observation d’OVNI, les dérives sectaires, le complotisme, etc. Dans ce sens, l’observatoire de zététique fondé par Broch en 1998 invite tous ceux qui prétendent posséder un genre de pouvoir invraisemblable de s’y présenter afin d’effectuer une expertise rationnelle du phénomène.

Elle est aussi un moyen par lequel on se forge un meilleur esprit critique. En confrontant nos croyances à celles des différentes données consultables, on les vérifie, on les réfute, on les prouve. À l’heure d’Internet, là où les données pullulent, il est des plus rocambolesques, plus que ce mot même, d’arriver à une bonne confrontation sans réelle méthodologie. Un clic suffit et l’esprit vacille. Nous sommes naturellement attirés par les fortes impressions et les promoteurs le savent. Pour s’enrichir, ils nous appâtent avec des titres racoleurs, escroquant par la même occasion notre pensée. Quand une forte nouvelle nous frappe on préfère naturellement l’indignation, nous amenant, inlassablement à relancer le cycle. En s’indignant, on partage la fausse information doublée d’une crédibilité supérieure car nous avons acquiescé ! La zététique, c’est aussi croiser ses données afin d’y voir plus clair et vérifier systématiquement tout ce que l’on partage pour ne pas intoxiquer l’esprit d’autrui.

Les (difficiles) distinctions du Croire et du Savoir

Depuis le début de cet article, nous ne cessons de parler de croyances, mais comment la différencier de la connaissance ? Il faut tout d’abord distinguer deux conceptions de ce qu’est la croyance, comment connaître ? La première, la plus populaire, s’interroge sur le contenu d’une connaissance : « est-ce que cela est vrai ? ». Quand ça ne l’est pas, c’est une croyance. D’où son acception souvent négative, car il faudrait, à l’inverse, savoir pour connaître. La seconde, s’interroge sur la pureté de ce que l’on sait ou plutôt de ce que l’on croit savoir. Croire, c’est penser que quelque chose est véritable, or nous savons par exemple que la science évolue en permanence et ce que l’on pensait savoir avant n’est plus forcément vrai maintenant, d’où la fameuse affirmation « je sais que je ne sais jamais ». Il serait impossible de savoir.

Toutefois, ces conceptions sont à dépasser comme le présente Gérald Bronner dans son essai « L’empire des croyances » (éd. PUF, 2015). Il relate dans son chapitre « La logique des croyances », les débats opposant croyance et connaissance qui ont parcouru l’histoire de la philosophie. Bronner nous explique qu’en creusant, on peut apercevoir ces deux conceptions subtilement introduites dès Platon dans le Théétète où la croyance peut être un effort pour quérir le vrai ou alors la résultante d’une inexactitude. David Hume remarquera, précise-t-il, qu’on peut efficacement substituer la vérité platonicienne à celle de probabilité. C’est-à-dire que certaines opinions, en particulier celles qui touchent au futur, ne sont ni forcément vraies, ni forcément fausses, mais plutôt probables ou improbables. Avec Hume, on affirmera que la croyance est un degré de vérité. Voilà réconciliées croyance et connaissance, car on considère à présent la croyance comme une connaissance partielle. Bronner note que cette proposition annonce un certain relativisme, car nous ne faisons encore que croire et que rien ne saurait être assez vrai pour être connu entièrement, mais il est tout de même possible de savoir. On sait, quand on sait pourquoi l’on croit et quand cette croyance s’appuie sur des raisons valables, c’est-à-dire des preuves valides. Toutefois, lorsqu’il est impossible de savoir ou que l’incertitude nous gagne, il faut s’abstenir. Tout ce qui n’est pas su est cru ou ignoré.

Le doute, le doute !

Même si un zététicien nous invitera à douter de tout, il ne nous le demandera pas éternellement. Oui, savoir implique d’avoir tranché. En revanche, il ne nous demandera pas non plus de nous braquer indéfiniment. Car se positionner, c’est aussi pouvoir se tromper à long terme. Ce procédé est semblable au limiteur de vitesse d’une voiture. Quand à nos yeux apparaît un panneau indiquant 130 km/h, nous nous y limitons. Néanmoins, dans quelques kilomètres, quand un autre nous indiquera 50 km/h, il ne faudra pas s’obstiner en pestant que nous avons déjà le pied sur l’accélérateur et démonté les freins. Persister sur notre position éternellement ne nous conduirait qu’à notre perte. Le doute doit donc être entretenu.

Pour douter efficacement, il faut davantage se connaître soi-même, car c’est bien de nous qu’émanent la plupart de nos croyances incorrectes. Cela veut donc dire apprendre à repérer nos failles. L’avantage, c’est que les nôtres sont souvent celle des autres. Premièrement, notre corps, par nos sens, nous feinte aisément. Deuxièmement, notre cerveau, par des mécanismes cognitifs, nous biaise. Troisièmement, nous-mêmes, par le biais de notre Moi, nous nous sabotons. Pour se rendre disponible à la connaissance, il faut se libérer de toutes certitudes concernant l’infaillibilité de nos perceptions et mécanismes cognitifs, mais surtout se préparer à en découdre avec son ego. Passions et fierté seront de la partie ; ça, j’ai des raisons valables de le croire. Et vous, avez-vous de bonnes raisons de croire ce que vous croyez ?

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