Le bonheur à 100€/h

Critique du « coaching » dans le soin des pathologies mentales


«30 jours pour être heureux ! », « 5 pensées qui vous empêchent de trouver le bonheur », « 10 conseils pour en finir avec le stress » : les rayons de développement personnel prennent de plus en plus de place dans nos librairies. Et pour cause : en 2019, c’est plus de 35% des français·e·s qui déclarent en lire (d’après le rapport du CNL de 2019). Comment expliquer le besoin généralisé de ces littératures du bien-être ? Est-ce-que le français moyen va mal ? Pourquoi préfère-t-il se tourner vers le développement personnel et le coaching de vie plutôt que vers la thérapie ? Retour sur un phénomène de société dangereux, témoignant de nos idées reçues en santé mentale.

Tableau comparatif
Tableau comparatif

Une alternative ?

Coaching et développement personnel sont intimement liés. En effet, nombreux de ces livres sont écrits par des coachs, dans le but d’introduire à leurs séances de coaching. C’est notamment le cas de Christel Petitcollin, autrice de Je pense trop : comment canaliser ce mental envahissant, dont les livres se présentent comme des introductions à ses différentes formations. Ainsi, le coaching est comme une extension du développement personnel dans la sphère intime : il s’agit de rencontrer un·e spécialiste pour discuter et appliquer avec lui·elle les principes prônés dans ces livres, et ce de manière personnalisée. Rappelons à présent ce qu’est le développement personnel. Bien que la définition soit floue, on peut tout de même en dégager deux aspects. D’une part, il s’agit d’être plus productif·ve dans ses projets, mieux organisé·e, plus performant·e... Le second aspect est une approche plus pathologique : il s’agit de soigner le stress, la dépression, les addictions, bref, d’aller mieux. Quelle différence, dans ce second aspect, entre coaching et thérapie psy ? D’abord, contrairement à un·e psychologue qui cherchera la cause du mal- être, « le coaching de vie ne va que très peu s’attarder sur le passé et le pourquoi. Il part du présent et son regard se porte vers l’avenir. » (d’après parentheses-coaching.com). Cela signifie que le coaching consistera à mettre en place des outils concrets face à un problème précis, là où la psychothérapie sera plus globale. Cela expliquera notamment la différence en termes de durée de la thérapie entre coaching et suivi psy. De plus, il existe de nombreuses différences en termes de formations des soignant·e·s, de durée de la thérapie, de coût de la séance, etc. (voir tableau récapitulatif ci-contre).

Des limites éthiques

Bien qu’on puisse aussi parler des limites théoriques du coaching — celui-ci se basant principalement sur la programmation neuro-linguistique (PNL), théorie fortement critiquée par les psychologues (Critique de l’idéologie de la programmation neurolinguistique, par Elwis Potier dans la revue POUR) — je vais ici me concentrer sur les limites éthiques. Tout d’abord, ce qui saute aux yeux lorsqu’on s’intéresse de plus près à la pratique du coaching, c’est le peu de formation dont disposent ces « soignant·e·s ». En effet, bien que certain·e·s optent pour des formations certifiées — d’une durée de 6 à 8 mois pour les certifications RNCP (source : ecole-superieure-coaching.com) — d’autres se lancent dans le métier avec pour seul bagage « l’école de la vie ». Ce coach n’est alors pas plus à même de soigner notre anxiété que n’importe lequel de nos amis. Pourtant, ce dernier ne nous facturera pas en moyenne 100 euros la séance (source : quel-coach.fr). Alors pourquoi le coaching attire-t-il de plus en plus de monde ? Le coaching surfe sur la diabolisation des psys pour attirer leurs clients : selon le site decoder- la-reussite.fr, le coach « subit l’image négative que peuvent avoir ces derniers [les psys], que certains considèrent inutiles et qui gagnent de l’argent à ne rien faire. ». Ainsi, le coaching fonde son business sur le mal-être des gens, volant la patientèle des psys pour en faire sa clientèle. Certains sites de coaching prétendent même être l’unique solution à des pathologies graves comme la dépression : selon lifecoachparis.fr, « Si vous voulez savoir comment vaincre une dépression (...) il faut que vous sollicitiez une consultation privée d’un coach certifié en développement personnel. ». Il semble peu éthique que des sites à vocation de soin n’évoquent même pas l’alternative psychothérapeutique.

Et la santé mentale ?

« Ça ne viendrait à l’idée à personne de se faire opérer du genou par un type qui a fait 18 mois d’études ; on préfère un chirurgien qui a fait 12 ans. Pour l’esprit, apparemment, on est plus laxiste. Pourquoi ? » a dit Julia de Funès, autrice de Développement (Im)personnel, le succès d’une imposture, publié en 2019 aux éditions de l’Observatoire.
Dans notre société moderne, santé physique et mentale ne sont pas mises au même plan. En effet, pour beaucoup aujourd’hui, la santé mentale, c’est « dans la tête », ça n’est qu’une question de volonté : on pense pouvoir gérer notre esprit comme on gère son agenda. Dans ce cas, les dépressif·ve·s ne sont que des fainéant·e·s, et les anxieux·ses, des personnes qui réfléchissent trop. Facile alors de voir comment le coaching surfe sur ces idées reçues : pour guérir de la dépression, il suffit de se prendre en main, et pour les troubles de l’anxiété, il suffit d’apprendre à méditer ! Aller voir un·e psy ? Mais c’est pour les gens qui sont fous ! On ne considère même pas la dépression, l’anxiété ou encore les troubles de l’addiction comme des pathologies, mais comme des faits de la vie : ça arrive à tout le monde d’avoir un petit coup de blues... Mais n’est- ce pas là un triste constat pour notre société ? On voit le bonheur comme une affaire individuelle, mais ne devrait-on pas compter sur un changement collectif pour atteindre le vrai bonheur ?
Pour conclure, j’établirai l’analogie suivante : le développement personnel via la pratique du coaching est à la santé mentale ce que les régimes sont à la nutrition : une réponse rapide et efficace sur le coup, mais qui ne règle en aucun cas le problème de fond, que seul un·e professionnel·le de santé peut soigner.

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