La dissonance cognitive
Cette rubrique fait suite à la précédente, elle est sa petite sœur. Si l’autre nous propose de voir par une démonstration et une énumération de faits l’incohérence de certaines croyances, celle-ci nous offre des outils pour penser de manière plus sûre et autonome afin de les éviter. En effet, le cerveau a des lacunes, des biais qui nous entravent et c’est ce que nous tenterons d’aborder ici. En identifiant mieux ses failles, on s’en préserve. Aujourd’hui, c’est au tour de la dissonance cognitive.
La dissonance cognitive, c’est quoi ?
Désignée comme telle pour la première fois par Léon Festinger lors d’une étude en Inde, la notion de dissonance cognitive appartient à une théorie de la psychologie sociale. Elle se caractérise par un état de malaise profond du sujet causé par des informations, des opinions, des comportements ou des croyances qui sont incompatibles entre eux. On prend alors conscience que le réel n’est plus vraiment ce que l’on croyait qu’il était, ce qui nous laisse bien évidemment retourné. On pensait bleu, mais c’était vert. Lorsque ce stade est atteint nous ressentons un besoin monstre d’y remédier, ce qui laisse souvent lieux à des stratégies plus ou moins efficaces, plus ou moins rationnelles. Le bleu auquel nous croyions pouvait être finalement turquoise ; nous ne nous serions trompés qu’un peu. Effectivement, ces stratégies tentent de rendre l’ancienne croyance plus facile à accepter afin de retrouver l’équilibre, l’harmonie cognitive. On peut par exemple préférer l’ajout d’éléments consonants qui permettrait de justifier la dissonance, de réinterpréter le réel pour faire en sorte que les croyances restent intactes, pour minimiser l'importance ou pour modifier drastiquement les éléments dissonants, voire même pour nier la dissonance dans les cas les plus extrêmes et limiter la casse. Pour le psychisme, l’harmonie justifie les moyens, et une fois retrouvée, la vie reprend son cours. La perversion est là : il n’est pas question de vérité, mais simplement d’équilibre !
Le séisme en Inde
Nous avons précédemment évoqué l’étude qui avait permis à Festinger de découvrir cette théorie. Elle est en même temps la dissonance originelle et probablement l’exemple le plus parlant. En 1934, suite à un tremblement de terre assez violent, un village indien, dont les voies de communication avaient été coupées du reste du monde sur le coup, propageait une rumeur annonçant la réplique d’un prochain séisme encore plus dévastateur. Festinger et ses collègues, intrigués par les mécanismes amenant des personnes frappées par des événements anxiogènes à s’attendre à une reprise plus violente, ont supposé que ce phénomène reposait sur un réflexe psychologiquement utile, car très récurrent. En effet, la conclusion que ces chercheurs en tireront ira dans ce sens. Les villageois, conscients des risques de résurgence, sont devenus anxieux. Malgré les jours, la rumeur continuait à circuler et à s’intensifier. On tenait là, la dissonance. Selon eux, les villageois auraient eu besoin d’informations sur les répliques potentielles de ce séisme afin de le maîtriser davantage. Sans réelle justification à leurs angoisses, les membres de la communauté auraient développé une stratégie visant à réduire et justifier leur anxiété en donnant de l’importance à des rumeurs allant dans ce sens. L’équilibre était alors retrouvé.
Comment s’en dépêtrer ?
Ce besoin de cohérence est bénin et même profitable à l’espèce humaine. La majeure partie du temps la dissonance cognitive se pâme dans le quotidien et n’est qu’un problème mineur. Nous arrivons à changer d’avis assez simplement quand l’objet problématique est ordinaire. Néanmoins, plus on investit dans une chose, et plus elle prend de valeur à nos yeux. Alors, dans ce cas précis, quand l’objet de la dissonance sous- tend notre réalité, il est compliqué voire improbable de se rendre à la proposition la plus valide si elle nous contredit. Ce qui pose la question : comment s’en dépêtrer ? Cette réponse ne se voudra pas absolue et aura plus l’étoffe d’un conseil que d’une solution. Pour retrouver un équilibre, on pourra chercher des arguments qui valideraient notre opinion ou au contraire l’invalideraient, renoncer à un comportement qui n’est pas en accord avec nos valeurs, ou alors accentuer la valeur morale que le changement de position suppose. En effet, il me semble important de prendre conscience du courage que cela implique. Parfois, on peut voir le fait de rebrousser chemin comme une forme de faiblesse ; or changer d’avis avec des raisons valables, c’est le retrouver. Comment ne pas être fière d’être courageux ?