L’ARGENTIQUE

UNE PETITE INTRODUCTION


Parmi les grandes inventions du XIXe siècle, la photographie occupe une place particulière : pour la première fois, elle permet de capturer fidèlement et en direct les images de la réalité. L’histoire de l’humanité en fut profondément changée… Il est donc dans mon devoir de vous en parler dans les colonnes de ce journal. A chaque numéro, je vous ferai découvrir les secrets de l’argentique (jeu de lumière, choix des pellicules, technique de développement…), mais aussi les photographes, célèbres ou non, qui ont, à l’aide de cet appareil, impacté le monde de l’art. Ce mois-ci, je vous propose une introduction, une petite mise en abîme sur ce qu’est l’argentique, le récit historique sera pour la prochaine fois. 

Donc. Placez la pellicule. Réglez le diaphragme. Actionnez le levier d’armement. Et bonne lecture à vous.

Photographie par @filargentique

Grains VS 4K

Photographie argentique ou numérique : combat de Titans… ou bien tempête dans un verre d’eau ? Un débat souvent vain, le but étant dans les deux cas de fixer un instant, une émotion, de saisir l’atmosphère d’une scène telle qu’on la voit, la sent, pour in fine délivrer une image qui nous procure satisfaction. Bien sûr, ces deux mondes, argentique et numérique, sont intimement liés et cohabitent, avec leurs avantages et leurs inconvénients. Mais l’argentique a le mérite, par ses limitations, d’enseigner la rigueur et la patience. Il met davantage l’accent sur la réflexion. Une certaine maîtrise technique apparaît d’autant plus nécessaire en l’absence de vision directe du résultat de la prise de vue, comme c’est le cas en numérique. De plus, le temps s’écoule différemment, ce qui nous permet d’explorer, de transgresser tranquillement les règles établies ou admises comme telles. On y trouve même un aspect quasi méditatif, qui nous offre la possibilité de nous imprégner du processus complet de création. La contrainte devient créatrice de liberté. Le bénéfice pédagogique que l’on en retire est évident. Au lieu de shootings frénétiques durant lesquels des centaines de photos sont prises en une séance et où l’approche « on mitraille et on verra après » règne en maître, l’argentique demande un certain savoir-faire et une préparation au moment de la prise de vue. Les phases d’essais et d’erreurs sont plus rapidement ancrées et assimilées, puisque la réflexion prime clairement sur l’acte technique. On privilégie alors la qualité, et la « bonne photo » n’est plus le fruit du hasard, mais la concrétisation d’un acte conscient et maîtrisé.

Mythe et réalité

Le premier mythe, c’est celui du coût. En effet, avec la photographie argentique, ce serait de l’argent (sans mauvais jeu de mots) dépensé à chaque déclenchement. Mais en réalité, cette technologie est au final la plus abordable, car la dépense est progressive. De nos jours, il faut sortir de sa poche minimum 500€ pour un appareil photo numérique un tant soit peu qualitatif (et pour ce prix-là, vous n’aurez que le boîtier, les objectifs étant minimum à 100€). Un peu compliqué si on est étudiant. En revanche, vous pouvez trouver un bon appareil argentique équipé de son objectif pour 100€. Les pellicules (sur lesquelles vous pouvez faire 24 à 36 photos, selon le modèle) sont en moyenne à 11 € et le développement varie entre 8€ et 15€. Vous pouvez ainsi adapter votre pratique en fonction de vos moyens plus facilement qu’avec le numérique. Le second mythe est celui de la complexité. C’est une fausse équivalence. La photographie numérique nous semble plus facile car nous avons la vérification immédiate sur l’écran de l’appareil ainsi qu’une familiarité avec l’ordinateur pour les étapes de postproduction, à l’opposé de la photographie argentique, qui demande une initiation préalable. Mais une fois cette initiation passée, la pratique argentique n’est pas plus compliquée que le numérique, et de nombreuses notions sont interchangeables entre les deux.

Photographe du mois : Man Ray

Né à Philadelphie en 1890, Man Ray fut élevé à New York. Jeune peintre américain de tendance moderniste, il aborda d’abord la photographie dans un but pratique. Alors qu’il préparait sa première exposition de peinture à la galerie Daniel de New York, en 1915, il constata que les reproductions professionnelles de ses œuvres ne le satisfaisaient guère. Il se mit donc à les photographier lui-même, se déclarant bientôt ravi de cette nouvelle technologie, et de l’utilisation des plaques panchromatique (qui permettaient de photographier en noir et blanc tout en préservant la valeur des couleurs). Au cours de sa carrière de peintre/photographe/cinéaste/dessinateur/décorateur, il appliqua tous les moyens et les matériaux disponibles à la réalisation de ses œuvres. Pour lui, il n’existait pas de frontière entre les divers modes d’expression artistique, tous n’étant que des outils à employer dans le processus de la création. C’est cependant la photographie qui lui offrit le champ d’action le plus vaste. Dans le contexte du modernisme, il jugea aussi important de s’appuyer sur l’objectivité de l’appareil que d’en démontrer les facultés poétiques. Il évolua aisément à travers un vaste répertoire photographique. Son assurance, sa virtuosité technique lui permirent d’aborder une méthodologie variée : solarisation, épreuve négative, distorsion, image floue ; ou encore photographie sans appareil, obtenue dans l’intimité de la chambre noire à partir d’objets posés directement sur une surface sensible. A cette dernière invention, il laissa son nom : le rayongraphe. Mais le vrai talent de Man Ray est d’avoir saisi le rôle intermédiaire de la photographie entre l’art et la vie. Tout au long de sa carrière, il ne douta jamais du potentiel de ce médium qui pouvait simultanément servir le document et l’œuvre d’art, la science et la métaphore, la réalité et le fantasme. Il considéra la photographie comme une source d’expériences et sut l’adapter à l’avant-garde artistique de son temps. On a souvent demandé à Man Ray si la photographie était un art. A cette question, il préférait répondre que « l’art », limité par le poids de tout ce qu’on se croit obligé d’en attendre, « n’est pas la photographie ».

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